Lettre ouverte de Bahnan Yamin, Secrétaire de « l’Organisation des Syriens Chrétiens pour la Paix »
à son éminence, l’Archevêque Hilarion Capucci
Mgr Hilarion Capucci, le combattant, archevêque de Jérusalem et ancien détenu dans les prisons de l’ennemi israélien, je vous adresse une salutation de filiation chrétienne.
Je m’adresserai à vous en vous appelant « Monseigneur » uniquement au début de cette lettre, mais dans le reste de la lettre, je vous appellerai «Mon Père», comme aimait être appelé par les gens, l’archevêque Grégoire Haddad, combattant pour les droits de l’homme.
Permettez-moi, Père, de vous exprimer ma douleur intense et ma tristesse sans limite lorsque je vous ai vu dans les derniers rangs de la délégation du Régime. Permettez-moi d’être franc avec vous. J’ai pensé que celui qui était assis dans cette chaise-là était l’un des archevêques alliés du Régime. Mais quelqu’un m’a informé que l’archevêque assis dans les derniers rangs était Hilarion Capucci. Alors quel immense choc fut le mien! Comme celui de beaucoup de musulmans et de chrétiens. Ce choc a été aussi grand que le respect que j’éprouvais, j’éprouve et que j’éprouverai toujours pour vous. Aujourd’hui, j’ouvre mon coeur pour critiquer votre attitude; ceci va d’un fils vers son père dans le christianisme, un père dont j’étais toujours fier.
J’ai toujours été fier de vous, disant qu’Alep a donné les meilleurs clercs dans le Levant chrétien; l’archevêque Isidore Fattal, l’un des plus importants hommes de l’indépendance; l’archevêque Hilarion Capucci qui a lutté contre les forces d’occupation israéliennes, aussi bien en faisant passer des armes à la résistance palestinienne après l’occupation, en 1967, qu’en faisant partie de la Flottille de la Liberté, voulant forcer le blocus de Gaza par amour de l’Homme Palestinien opprimé. Un autre clerc aussi; Mar Ignace Boutros VIII Abdel Ahad, patriarche des syriaques catholiques, qui voulait pénétrer dans l’église de la Nativité assiégée et quand il n’a pas réussi, il a fait endosser à Israël la responsabilité de la tragédie du peuple palestinien assiégé dans cette église.
Aujourd’hui, Mar Gregorios Yohanna Ibrahim prêche une culture de la citoyenneté.
En raison de mon estime pour vous, il est de mon droit, de reprocher et de critiquer votre attitude quant à votre présence avec la délégation du régime à Genève, en posant cette question: comment ce Régime meurtrier pourrait-il convaincre le militant que vous êtes de participer à cette conférence, non pas dans les rangs du peuple mais dans les dernières rangées de sièges du Régime, alors que votre crédit, votre autorité et votre militantisme vous placent tellement plus haut?
Vous souvenez-vous, Père, du jour où le peuple d’Alep sortait en masses, ses musulmans avant ses chrétiens, pour vous accueillir lors de votre première visite, après la fin de votre incarcération? Croyez-vous que ce défilé des masses était orchestré, comme d’habitude, par le Régime? Non; les gens d’Alep, les musulmans avant les chrétiens, défilaient par amour, en raison de votre attitude héroïque face à l’occupation. Ces gens d’Alep qui vous ont accueilli ce jour-là sont aujourd’hui bombardés par le Régime, dans les rangs duquel vous vous trouvez, avec des barils d’explosifs qui brûlent et tuent des enfants innocents sous les décombres. Ces gens d’Alep, ceux qui vous ont aimé, et je parle en leur nom parce que je sais combien ils vous aiment et vous respectent, je ne peux garantir que cela continue parce que votre attitude les a blessés tous, à Alep, musulmans et chrétiens.
Je m’attendais à vous voir barrant la route à ce Régime, clamant comme Jésus-Christ «En vérité, en vérité, je vous le dis.. », vous dressant aux côtés du peuple syrien opprimé qui a enduré cette clique tyrannique. Cette clique qui a livré, pendant la guerre de Juin 1967, sur un plateau d’or, les hauteurs du Golan, la Cisjordanie et son joyau, Jérusalem. Jérusalem que vous avez aimée dont vous étiez l’archevêque jusqu’au jour où vous avez été incarcéré dans les cellules de l’Etat juif. Je m’attendais à vous entendre leur crier en face: « Arrêtez le massacre du peuple syrien, et en particulier les enfants ». Ces enfants sont sous votre responsabilité, car Jésus déclara sa protection de l’enfance et des enfants quand il réprimanda ses disciples en leur disant: «Laissez les enfants venir à moi! »
Père! N’avez-vous pas entendu ce que Sa Sainteté François Ier a dit lors de sa visite au Brésil, demandant aux ecclésiastiques, notamment aux catholiques, et vous êtes l’un d’entre eux, de retourner au people? Est-ce votre retour au peuple syrien est de siéger à la dernière place dans la délégation du Régime qui tue chaque jour un peuple qui réclame la dignité, la liberté et qui luttera jusqu’au jour de la chute du régime dictatorial?
Notre Père, je vous attendais à la tête de ceux qui voulaient briser le siège imposé au peuple syrien. Et voilà que les habitants du camp de réfugiés de Yarmouk; enfants, vieillards et femmes, meurent de la faim. Est-ce que Jésus-Christ nous a commandé d’être avec le tueur contre la victime? Avec le geôlier contre le prisonnier? Avec celui qui affame contre les affamés? Avec celui qui expulse les gens de leurs maisons et les déplace dans les quatre coins de la Terre? Avec celui qui interdit toute liberté contre ceux qui la réclament?
Je ne suis pas digne, ô Père, de vous rappeler les actions de Jésus-Christ dont celle d’être aux côtés du droit qu’il prêchait contre le mensonge. Mais je vous laisse à votre conscience que je ne doute pas qu’elle est vivante, même si elle est momentanément assoupie; conséquence d’une illusion par laquelle le Régime vous a fait croire qu’il était le protecteur des chrétiens.
Notre Père, nous ne voulons personne pour nous protéger, mais nous voulons quelqu’un pour nous donner nos droits en tant que citoyens, droits et devoirs, c’est la culture de la citoyenneté revendiquée par Mar Gregorios Yohanna Ibrahim, archevêque d’Alep et sa région, dans un entretien avec la BBC arabe. Il a payé sa liberté, et -qui sait?- peut-être sa vie, pour crier face au Régime qu’il était responsable du sang versé en Syrie. Oui, nous voulons le droit à la citoyenneté et je vous demande d’exiger de ce Régime l’abrogation des articles III et IV de la misérable Constitution syrienne, qui transforme le citoyen chrétien en citoyen de deuxième, troisième et quatrième zones. Peut-on accepter cela?
Notre Père! Si vous recevez cette lettre, je voudrais que vous demandiez au Régime de cesser de se servir des chrétiens, de la question de l’ami archevêque Yohanna Ibrahim et Mgr Boulos Yazigi, ainsi que de l’enlèvement des religieuses de Maloula, comme marchandise, dans le monde. Nous ne sommes pas une marchandise et nous ne voulons être protégés par personne; ni par le Régime ni par l’opposition.
Nous sommes des citoyens syriens et voulons jouer le même rôle de pionniers joué par les chrétiens au temps de la première Renaissance; au temps de la seconde Renaissance que nous vivons aujourd’hui et que le peuple syrien la paie cher de son sang. Dans cette guerre de la deuxième indépendance, nous voulons rejouer le rôle de premier plan qu’avaient joué les hommes de la première indépendance de la Syrie. Nous voulons que chaque chrétien devienne l’archevêque Isidore Fattal, Faris Al-Khoury, Saïd Isaac, Qastaki Homsi, Fathallah Qasion, Fathallah Saqqal et bien d’autres chrétiens.
Je termine cette lettre en espérant que vous la recevrez et la lirez attentivement dans l’esprit de l’amour et du christianisme et je conclus avec les paroles de Jésus-Christ disant: « C’est ma paix que je vous donne ». Il n’a pas dit: c’est mon arme que je vous donne. Avec mon amour pour vous, malgré votre dernière prise de position que je souhaitais ne pas vous voir prendre et qui n’était pas compatible avec l’attitude de notre Christ de vérité.
Votre fils dans le christianisme
Bahnan Yamin
Traduit par CILD Comité d’Information pour une Syrie Libre et Démocratique
Version Arabe : رسالة مفتوحة من بهنان يامين الى سيادة المطران هيلاريون كبوجي